Aïkido et développement psychomoteur

Le terme de développement psychomoteur est le plus souvent réservé au domaine de l’enfance. On peut dresser un tableau des acquisitions normales d’un bébé et d’un enfant du point de vue psychomoteur. Pour être considéré dans les normes psychomotrices, un bébé doit, par exemple: sourire vers le deuxième mois, il doit gazouiller vers trois mois, il acquiert la préhension vers 4 mois, il s’assied entre 6 et 9 mois, il marche vers 14 mois,… la liste est longue.

Jusqu’à l’âge de 7 ans, entrée au C.P., toute une liste d’acquisitions corporelles et affectives détermine une normalité dans le développement psychomoteur de l’enfant.

Après 7 ans, on pense que l’enfant a acquis un certain équilibre entre le mental et le moteur : on lui demande de faire travailler son cerveau en laissant son corps au repos. Lorsqu’un enfant commence à montrer des difficultés dans ce domaine, quand il ne peut pas se concentrer, rester en place, quand il remue sans cesse, etc.… on parle de troubles du comportement mais en fait, les troubles de base sont psychomoteurs.

Cela signifie que le mental et le corporel ne sont pas coordonnés entre eux.

Passé un certain âge, plus personne s’occupe de savoir, si on marche correctement, si on a un bon équilibre, si on articule convenablement les mots, si on place bien la langue pour avaler la nourriture, si on est bien coordonné entre la gauche et la droite, si on intègre bien un nouveau mouvement…

L’essentiel chez de nombreux adultes est d’être bien dans leur tête et le corps ne doit pas faire souffrir. On ne suit plus le développement du corps dans le parallélisme avec le développement psychique.

Alors on peut se poser une question : est-ce qu’il y a un âge qui caractérise la fin du développement psychomoteur ?

On peut répondre d’un point de vue neurologique : c’est la maturation du cerveau qui achève le développement psychomoteur : quand les dernières zones du cerveau sont câblées par les neurones, alors c’est la fin du développement psychomoteur.

Les dernières structures du cerveau sont câblées vers l’âge de 2O ans. Donc du point de vue neurologique, on peut dire que le développement psychomoteur s’arrête là. Mais il ne faut pas oublier que notre particularité neuronale, la particularité de nos cellules nerveuses c’est de se complexifier et de créer sans cesse de nouveaux réseaux, des nouveaux circuits. Certains disparaissent, d’autres se créent : on peut donc poursuivre son développement psychomoteur toute sa vie.

Bien entendu, nous devons tenir compte du vieillissement normal de notre corps, du vieillissement de nos cellules. Mais nous pouvons espérer poursuivre nos acquisitions psychomotrices très tardivement à condition d’entretenir les structures, alors qu’avant l’âge de vingt cela se fait naturellement. Même sans entretien, la maturation fait son œuvre.

Quelles sont les pratiques ou les aides qui peuvent contribuer à une amélioration ou à une reprise de notre développement psychomoteur ?

C’est là qu’entre en scène l’aïkido qui est une pratique qui ne s’explique pas vraiment mais qui se sent et qui se vit d’une façon très subjective. La danse, on en fait l’expérience d’une façon subjective. C’est justement parce que l’aïkido met la subjectivité en avant qu’il est difficile de mettre en mots ce qui est ressenti. Car les sensations sont des aventures personnelles. Elles sont descriptibles avec des mots qui appartiennent à un registre commun mais ces mots ne pourront jamais transmettre vraiment et entièrement ce que vit la personne. La pratique de l’aïkido reste donc dans une sorte de secret sensoriel que chacun doit découvrir selon sa propre personnalité et selon son propre rythme.

A coté de cet aspect subjectif, de grandes lignes théorico-pratiques orientent l’activité psychocorporelle des aïkidokas. Nous allons voir que les principes fondamentaux que le maître Ueshiba enseigne dans l’aïkido relèvent des mêmes principes fondamentaux que ceux qui soutendent et animent le fonctionnement psychique humain. Je vais donc vous parler des éléments qui structurent l’espace et le temps de la pratique d’aïkido en faisant un parallèle constant avec les principes fondamentaux de la construction de la psyché humaine.

A. Les grandes lignes théorico-pratiques de l’aïkido

Les idées principales sont les suivantes :

1 L’aïkido est une pratique qui a une dimension spirituelle et cosmogonique importante. Nous sommes dans un univers, dans un tout, nous faisons partie de ce tout, et notre tâche d’humain est de conserver l’équilibre qui nous lie à cet univers, car notre but est d’accomplir notre être. Dans ce sens l’aïkido est une pratique qui cherche la complétude de l’être humain en rétablissant l’harmonie entre soi et l’univers.

Le mot harmonie vient du latin harmonicus qui veut dire accord. L’agression d’un adversaire vient troubler l’harmonie qui règne entre l’aïkidoka et l’univers. Aussi par ses actions l’aïkidoka cherche à rétablir l’accord qui l’unissait précédemment à son environnement. Il ramène l’harmonie dans sa vie. C’est une logique de survie et une logique de qualité de vie.

Cette dimension holistique qui cherche l’unité et l’équilibre se retrouve à plus petite échelle dans tous les niveaux d’organisation corporels ou psychiques de l’être humain.

  • Quand notre corps manque d’eau, la soif se déclenche comme un signal d’une rupture d’un équilibre biologique. Nous buvons et à nouveau nous nous sentons bien et l’harmonie dans notre corps est rétablie.
  • Quand un élément infectieux agresse notre organisme, nos systèmes de défense nous le signalent en augmentant la température du corps. La fièvre nous dit qu’il y a une rupture d’équilibre et d’harmonie dans notre corps et nous nous soignons.
  • Encore à un autre niveau, quand il y a une disharmonie dans nos actions musculaires, les tensions nous le signale et nous allons alors mettre en place des stratégies pour retrouver un état de bien-être : massages, sports, kiné.
  • D’un point de vue psychique, quand nous nous sentons mal dans notre peau, déprimé, ou stressé, il y a rupture d’harmonie à l’intérieur de notre être. Nous avons alors de nombreux systèmes de défense dont la fonction est d’éliminer l’agent nocif, et de maintenir une homéostasie, un équilibre dans notre appareil psychique : le système de défense psychique le plus connu est le refoulement. Quand un élément extérieur ou intérieur nous dérange, nous menace dans notre équilibre psychique, nous l’oublions, nous le rejetons au fin fond de notre inconscient et on en parle plus, l’équilibre est retrouvé.

Mais évidemment ce n’est pas si simple parce que les éléments refoulés peuvent ressurgir à la moindre occasion, tout comme les ennemis peuvent réapparaître à chaque moment pour l’aïkidoka et il va falloir à nouveau chercher à rétablir l’harmonie. Nous sommes donc devant une tâche sans cesse renouvelable : nous devons donc être continuellement dans un état de veille, de vigilance (vient du latin vigilare :veiller).

Il ne s’agit pas d’un état de tension, mais au contraire, d’une totale disponibilité à la fois motrice et des perceptions, ce qui permet à la fois une réaction automatique et une action consciente à une rupture de l’harmonie et de l’équilibre.

La veille, la vigilance, c’est donc un état psychomoteur inconscient et économique qui sert de soubassement à une action consciente et à la mise en place rapide de stratégies de défense face aux agressions.

2 Un deuxième point important est en rapport avec cet état de vigilance. L’aïkidoka doit pouvoir occuper des places différentes dans l’espace de façon à affronter les situations en possession de sa force et en position de force. La décision doit être prise à l’instant présent.

La disponibilité vigilante permet de réagir immédiatement à toute éventuelle agression. Nous devons être sans cesse disponible dans notre corps et dans notre esprit et pouvoir nous orienter différemment dans l’espace pour nous situer dans un rapport à l’agresseur qui nous sera favorable. Notre placement spontané dans l’espace est la base de notre réussite dans l’action. L’important est ma position à l’instant.

D’un point de vue psychique nous retrouvons la même dynamique face à un autre être humain agressif. Si nous sommes trop rigides, nous allons subir les événements extérieurs comme un rapport de force et nous allons nous enfermer dans un statut de résistant ou pire de victime.

Mais si nous sommes suffisamment mobiles psychiquement, si nous pouvons utiliser le plus grand nombre de systèmes de défense à notre disposition (c’est ça le placement psychique face à autrui), nous pourrons nous déplacer affectivement par rapport aux événements.

Par exemple, vous cherchez à vous garer, vous mettez votre clignotant et vous ralentissez. Le conducteur derrière vous n’a pas compris le signal, il vous colle, il est furieux, il est obligé de stopper, de reculer et de vous dépasser. Il peut sortir de la voiture et vous injurier, vous menacer. Vous avez plusieurs systèmes de défense :

a. Vous avez décidé une bonne fois pour toutes que vous faisiez ce que vous vouliez avec votre voiture, alors vous restez dans votre voiture, vous fermez les portières (vous n’êtes pas téméraire) et vous continuez à vous garer comme si l’autre n’existait pas. D’un point de vue humain, c’est dur parce que l’autre se sent ignoré, gommé et qu’il devient transparent. Il n’y a rien de pire pour un être humain que de ne pas être reconnu. C’est très humiliant pour lui, mais vous pouvez faire ça, si vous vous sentez suffisamment fort.

b. Un autre système de défense est de sortir de votre voiture et d’affronter votre adversaire. Vous usez alors de votre agressivité mais s’il pèse 110 kilos, évidemment vous vous mettez en danger. Vous êtes dans sa trajectoire, dans son axe et vous prenez des risques.

c. La troisième solution qui me semble correspondre psychiquement à un déplacement d’aïkidoka est de sortir de l’axe agressif de ce monsieur et de faire que l’harmonie se rétablisse sans que vous soyez perdant, tout en ne détruisant pas l’autre. Vous pouvez dire « J’ai sans doute mis ma flèche trop tard ! » C’est une façon de reconnaître que ce que vit l’autre peut être justifié par votre attitude. Ce n’est ni vous aplatir, ni vous soumettre. C’est simplement penser que dans une interaction on est deux et qu’il y a réciprocité d’actions. Avec une phrase de ce style, le conducteur de derrière part en râlant, mais vous ne l’avez pas humilié, vous l’avez respecté comme être humain et vous-même vous vous êtes respecté.

Maintenant si ce fâcheux veut vous rosser, à vous de vous défendre avec ce que l’aïkido vous a amené.

3 C’est en vertu de cette mobilité de position spatiale et psychique que le geste de l’aïkidoka ne s’oppose jamais à celui de l’autre.

Au lieu de subir la force de l’adversaire, vous en faites quelque chose. Vous coordonnez vos mouvements à ceux de l’adversaire. L’agresseur n’est pas le véritable problème mais ce que vous pouvez faire de l’agression et de l’agresseur devient le problème.

En vous adaptant et en vous coordonnant aux gestes de l’adversaire, vous évitez d’être déstabilisé. Vous gardez votre équilibre et vous maîtrisez la situation.

Quand vous vous entraînez sur le tatami

Celui qui fait l’action agressive est dans la même dynamique que celui qui subit l’action (uké) ; il doit préserver son équilibre et son harmonie le plus longtemps possible. Les deux partenaires doivent accepter le geste de l’autre. Il ne faut pas forcer le mouvement ni vouloir faire quelque chose à l’autre mais faire quelque chose du geste de l’autre. Celui qui agresse doit accepter ce qu’il vit pour ne pas se casser, il accepte le mouvement pour avoir une chance de récupérer son équilibre et son centre.

Au début de la vie de l’enfant, nous retrouvons le même système. Le bébé n’a pas encore de psychisme bien organisé mais il a des réactions sensorielles riches et multiples. Il a également un potentiel moteur important avec des réponses et des conduites de communication : il n’est pas vierge de toutes stratégies de communication car des systèmes réflexes, des automatismes assurent pour lui la base de la communication avant qu’il soit capable de communiquer par gestes et paroles volontaires.

C’est la mère qui va mettre des mots sur les mouvements et les mimiques émotionnelles de son bébé. Elle va l’interpréter et le faire entrer ainsi dans le monde du langage.

L’enfant va chercher à s’adapter à ce que lui renvoie sa mère quand il bouge. Bien sûr, il ne comprend pas les mots de sa mère mais par contre il saisit les intonations, les variations de tonicité, les mouvements du visage de la mère, et au début de la vie, c’est par la sensorialité que l’enfant entre en relation avec l’autre.

En même temps que l’enfant reçoit des stimulations de la part de sa mère, de son père, il va ressentir une forme de sentiment : si la mère le berce, il ressentira des sentiments de tendresse, d’amour et si la mère le secoue dans tous les sens ou hurle, il ressentira des sentiments de peur, de rage, de colère, de terreur.

Quand l’enfant est dans un sentiment d’amour, son corps est détendu et il est bien ; quand il est dans un sentiment de rage ou de peur, son corps est tendu, crispé. Il y a donc une adaptation quasi automatique de son corps aux stimulations externes. Il y a passage d’états de tension à des états de détente dans un rythme relationnel. Si la mère est suffisamment attentive à son bébé, un rythme va s’établir entre les périodes durcissement du corps et les périodes détente. Peu à peu des sensations intermédiaires vont se créer. L’enfant s’adapte ainsi peu à peu aux personnes qui l’entourent.

Mais s’il n’y a pas d’alternance dans ses états psychocorporels, si l’enfant vit trop de tensions qui ne peuvent pas changer de forme pendant les périodes de détente, alors le risque, c’est qu’il se coupe complètement de la relation et qu’il s’enferme dans l’autisme. La dureté de son corps s’est transformée en état d’anesthésie affective.

Nous voyons que dès le début de la vie, l’enfant s’adapte aux stimulations environnantes : il les classe, les range dans son monde affectif, les catégorise. C’est ainsi que les petits enfants jusqu’à 6 ans environ sépare le monde en 2, les méchants et les gentils.

Mais si psychocorporellement, l’enfant est obligé de s’opposer par réaction involontaire complètement à l’autre, il se durcit à un point extrême, il coupe toute communication.

Quand on est adulte, on ne peut plus entrer dans l’autisme, mais on rencontre des personnes qui ne peuvent pas affronter les situations difficiles. Ils s’enferment dans leur tour d’ivoire, ils opposent au dialogue un mur infranchissable et rien ne semble pouvoir les faire sortir de cet enfermement. S’il leur arrive un joue de pouvoir exprimer ce qui se passe pour eux, ils disent être dans une grande solitude et coupés du reste du monde.

Donc s’opposer complètement n’est pas la solution.

Je résume ce que j’ai déjà écrit.

  1. L’action de l’aïkidoka est de restaurer l’harmonie.
  2. Il est en état de vigilance mais sans tension, donc en état de sécurité.
  3. Son geste ne s’oppose jamais complètement à celui de l’autre mais il s’adapte et cherche à rétablir l’harmonie.

B. Le Centre

Pour être disponible, il faut être en sécurité, sans tension nocive. Cette disponibilité nous permet d’être capable de faire quelque chose avec l’énergie de l’autre et de restaurer l’harmonie interne et universelle. Pour ce, il nous faut un centre ou hara et un accès à ce centre.

La plupart du temps nous recevons les agressions dans le haut du corps. Notre système de défense réflexe est de rentrer la tête dans les épaules devant un danger. La tête est la partie la plus fragile et la plus importante du corps. Elle vous sert à penser les stratégies défensives et offensives. C’est donc une position de protection naturelle, à la façon des tortues et des animaux à carapace.

D’une façon innée et physiologique les bébés ont une contraction des muscles des épaules et la tête dans les épaules jusqu’environ l’âge de 6 mois. Tous les bébés ont une hypertonicité des muscles des membres supérieurs et inférieurs. Leurs bras sont rétractés sur le thorax. Ils sont dans un état de vigilance qui est lié à leur grande capacité sensorielle alors que les fonctions de mentalisation s’ébauchent lentement. L’intégration du schéma corporel va commencer par l’intégration de la tête des épaules et des bras en descendant vers les pieds. Et cette intégration du schéma corporel se fait par la diminution progressive de l’hypertonicité des épaules et des bras.

C’est donc un état naturel de préparation à l’action que d’avoir la tête dans les épaules. Mais la maturation neurologique et la bonne relation à l’environnement fait baisser cette tension psychocorporelle innée et l’appréhension ainsi que la réception des stimulations vont être conduites par d’autres systèmes de défense et d’autres lieux du corps.

La descente des épaules et l’émergence de la tête se fait en même temps que la régulation respiratoire et que l’installation d’un centre psychocorporel.

Ce centre existe potentiellement chez un bébé qui naît mais il lui reste à l’installer définitivement.

  1. La maturation du snc
  2. Le deuxième élément qui permet à l’enfant de trouver son centre, c’est la relation maternelle
  3. L’enracinement. Dans la pratique, on descend le bassin par flexion des jambes, pour redonner le sens de l’enracinement du corps au sol et pour assurer sa position de sécurité dans l’espace.
  4. D’un point de vue topique (lieu), partir de son centre, s’appuyer sur lui c’est permettre l’accès au réservoir de l’énergie. Quand cette énergie est disponible et quand la sécurité le permet, on peut ainsi élargir son centre d’action.
  5. D’un point de vue économique, c’est une économie d’énergie physique et psychique. La concentration de soi en une zone, le rassemblement de tout son potentiel en un point permet une action plus efficace et moins fatigante.
  6. D’un point de vue dynamique, le hara permet la circulation de l’énergie. C’est comme une plaque tournante qui accueille, recueille et redistribue l’énergie. Dans ce sens, le geste de l’aïkidoka consiste à faire circuler l’énergie.
  7. La centration (hara) qui correspond à la base narcissique du bébé. C’est la période pendant laquelle l’enfant intègre des éléments de sécurité et de confiance en soi. Il se construit un centre corporel et psychique qui devra se développer avec les expériences de la vie.
  8. Le changement d’axe qui correspond au mouvement de symétrie du bébé avec sa mère. Le psychisme de l’enfant se construit d’abord dans la symétrie, dans l’image de la mère puis dans le décalage de l’axe de sa mère. Au début de la vie on peut dire que le bébé est baigné dans le psychisme de sa mère puis il va s’en dégager.
  9. La coordination du mouvement de l’autre avec le sien qui correspond :

A la naissance, le bébé a une tonicité des muscles des membres supérieurs et inférieurs très forte et une tonicité des muscles du dos très faible. Il est comme un arc. Son dos s’enroule sous la pression des cordes antérieures. C’est la position fœtale.

Il n’a pas encore de centre corporel ni de centre psychique. Il est fragmenté dans les différentes parties du lui, aussi bien au niveau corporel qu’au niveau psychique. Le Moi moteur et le Moi psychique sont des ensembles de petites parties qui ne sont pas encore coordonnées entre elles. Si vous regardez bouger un bébé, les mouvements sont désordonnés. Il en est de même pour son psychisme. C’est à travers la pathologie que cette fragmentation du psychisme se révèle notamment dans les études de l’autisme et des psychoses.

L’acquisition du centre se fait par intégration neuromotrice, par les bienfaits de la relation qui sécurisent l’enfant et par l’installation d’une respiration coordonnée.

Le bébé à la naissance, respire d’une façon paradoxale. Il relève le diaphragme pour inspirer au lieu de le descendre pour faire de la place dans la cage thoracique. Le bébé fonctionne en sens contraire du mouvement normal d’inspiration et d’expiration. C’est la mère qui en lui caressant la tête, en le berçant, en lui parlant, lui permet d’équilibrer sa respiration. Les fontanelles sont un point stratégique de la mise en route de l’énergie dans le corps de l’enfant. Le massage de ces zones permet une synchronisation des muscles inspirateurs thoraciques et du diaphragme.

La maturation du snc permet que l’hypertonicité des membres diminue et que la tonicité du dos augmente. Ainsi il va y avoir un équilibre vers le 6ème mois, entre la partie postérieure et la partie antérieure du corps.

Si la relation est suffisamment bonne avec la mère et l’entourage l’enfant va se détendre et participer à la diminution de l’hypertonie du début de la vie. La détente musculaire s’accompagne de détente affective. L’enfant va ainsi faire entrer à l’intérieur de lui des éléments de confiance et de sécurité (c’est ce qu’on appelle introjection en psychologie).

Progressivement, l’enfant acquiert une notion de l’intérieur de son corps et une notion de centre de son corps.

Dans la dynamique de l’aïkido, les mouvements partent du centre et retournent au centre. On travaille beaucoup avec le bassin. On libère ainsi les épaules. Le passage par le centre permet de retrouver l’efficacité du ki. Le ki c’est l’énergie. L’efficacité du ki est liée à sa circulation, à sa fluidité dans tout le corps.

Descendre vers son centre permet

A partir de ces premiers éléments, on s’aperçoit que les 3 axes fondamentaux de l’aïkido correspondent aux 3 axes fondamentaux de la structuration du psychisme chez le petit humain.

  • d’une part à la coordination des différentes parties du corps entre elles ;
  • d’autre part à la coordination des sensations du bébé avec ce qui se passe dans la relation.

D’autres éléments rappellent également le fonctionnement psychique humain

a. Le regard

  • Dans la pratique de l’aïkido tant qu’on est novice, on ne regarde pas l’adversaire dans les yeux, pour ne pas être capté par lui. Quand on est maître de soi, on peut regarder son adversaire dans les yeux.
  • Chez le bébé le regard de sa mère est absolument nécessaire à la construction du psychisme. Mais si l’enfant reste capté par le regard de sa mère, il devient psychotique.

b. La décentration

  • La décentration par rapport à l’axe d’autrui permet une position tiers. Quand on sort de l’axe de l’adversaire, on sort d’un face-à-face mortifère. On triangule un espace. L’autre ne peut plus vous planter son couteau dans le ventre. L’aïkidoka se crée une position tiers en se déplaçant, il triangule la relation spatiale en quelque sorte pour sauver sa peau.
  • Au niveau psychique, ce tiers est également indispensable pour sauver sa peau psychologique : le père est le tiers qui, par sa présence, donne à la mère et à l’enfant leurs positions dans la dynamique relationnelle. Une des fonctions du père, si la mère le laisse faire, est d’éviter une relation duelle paralysante et psychotisante entre mère et enfant. Les parents qui aident l’enfant à sortir du face-à-face l’engagent vers l’autonomie.

Le débutant et le bébé sont au même niveau : il faut que l’autre leur permette de se dégager pour poursuivre le mouvement de vie sinon rien n’est possible. Uké (celui qui subit) accepte le mouvement de tori pour ne pas se casser et pour retrouver une chance de récupérer son centre et il doit également permettre que l’autre (tori) travaille. Il ne doit y avoir ni blocage, ce qui serait stérile, ni abandon, ce qui serait inutile mais une coconstruction et une possibilité de faire ressentir à l’autre quelque chose de son propre ressenti.

Ensuite l’enfant en grandissant et le débutant en pratiquant pourront décider eux-mêmes ce qu’ils voudront faire.

C. Quel est l’apport de la pratique de l’aïkido ?

Le fait de retrouver au niveau sensori-moteur la dynamique qui est à la base de notre équilibre psychique et de la réintégrer a une action restructurante.

Le vecteur ludique est important. L’enfant se construit dans et à travers le jeu. Le jeu est très sérieux pour un enfant; il suffit de voir combien il est difficile de les sortir de leur jeu pour manger, faire leurs devoirs ou se coucher.

L’aspect ludique exclut par moment l’analyse de la pratique et le mouvement se laisse plutôt ressentir.

On parle beaucoup de sensations dans la pratique de l’aïkido : il est important de sentir la bonne distance, la bonne prise, le bon déplacement, le bon geste, la bonne sensation.

Alors : qu’est-ce que la sensation ?

Lasensation se situe à deux niveaux de conscience :

  • D’une part la stimulation sensorielle qui passe par un circuit neurologique et nous n’en avons pas conscience. Au niveau moteur, le moindre déplacement de notre corps envoie un message aux centres nerveux supérieurs qui répondent par une rééquilibration du corps dans l’espace. Tout ceci est inconscient.
  • D’autre part, quand la sensation arrive à la conscience et que nous pouvons la mettre en mots, lui donner un sens, la représenter par des mots : j’ai la sensation de tomber, ou d’être en déséquilibre, etc. Alors nous sommes dans le domaine conscient de la sensation.

Donc tant que la sensation n’est pas consciente, elle s’appelle stimulation sensorielle, c’est un automatisme. Et quand la stimulation devient consciente, quand elle est une représentation de soi en train de vivre quelque chose, c’est une sensation.

Dans la pratique de l’aïkido, on passe de la stimulation à la sensation. L’aïkido devient alors l’apprentissage des gestes justes. Il permet de changer des automatismes, de les déplacer et d’obtenir d’autres gestes et d’autres sensations plus adaptés aux circonstances. C’est une forme de déprogrammation qui permet d’aller vers des gestes plus surs et plus économiques, toujours dans le but de retrouver l’harmonie entre soi et l’univers.

Toutes nos sensations conscientes s’étayent sur des automatismes inconscients. En retravaillant sur les sensations conscientes on peut déprogrammer des automatismes inconscients qui entravent et bloquent notre corps notamment au niveau de l’énergie. Nous passons ainsi d’un position passive à une position active, d’un système de protection réflexe inconscient à un système de protection-défense conscient. Nous devenons acteur de notre vie.

En reprogrammant des automatismes on a un effet de feed-back et une conséquence sur les couches supérieures de la conscience. On devient plus maître de soi, en psychologie on dirait qu’on élargit les capacités du Moi.

Le geste juste correspond à l’étape pendant laquelle les sensations proprioceptives inconscientes s’articulent avec des sensations visuelles et proprioceptives conscientes pour permettre une action globalisante. Le geste juste devient un geste sûr.

L’aïkido permet de passer du visuel qui est survalorisé au tactile qui l’est de moins en moins, en tout cas dans nos sociétés. Le visuel, c’est regarder le professeur et les autres autour de soi. Le proprioceptif c’est ressentir par des sensations de place dans l’espace et de souplesse du mouvement, du mouvement coordonné, du mouvement articulé.

Le geste juste et la sensation juste se situent dans un rapport à l’autre. C’est descendre d’une sensation visuelle superficielle à une sensation proprioceptive profonde.

En Aïkido, nous vivons un phénomène transmodal. Nous passons d’un mode sensoriel à un autre mode sensoriel.

Passer du visuel à la concrétisation spatiale est un travail corporel mais également psychique.

La dynamique psychique est basée sur un processus de labilité, de souplesse entre différents niveaux de notre organisation : si nous avons accès à nos sensations et à nos affects, à nos sentiments, nous sommes plus complets dans notre personnalité que si nous sommes anesthésiés au niveau des sentiments et que seul fonctionne le niveau du langage.

Est-ce que l’aïkido a un effet sur les structures supérieures du psychisme ?

Tout travail corporel étaye le travail psychique pourvu qu’il respecte les règles de l’art, les 3 règles dont je vous ai parlé : la centration, l’axialité et la coordination.

L’aïkido a alors une valeur curative et une valeur de transformation.

Dans un travail psychothérapeutique, on passe du langage conscient superficiel, extérieur aux couches profondes des affects, des sentiments et des émotions. On descend en profondeur comme si un poids nous tirait vers l’intérieur de nous.

Alors il faut introduire la question du poids.

C’est une notion pas toujours facile à saisir. Quand on dit de quelqu’un « il a du poids », « il vaut son pesant d’or », on attribue à ce personnage pas forcément une obésité mais une qualité d’être au monde et une sensation d’enracinement au sol. C’est quelqu’un qui sera peu déstabilisé par les événements non parce qu’il sera insensible, mais parce qu’il saura absorber et renvoyer l’énergie qu’il recevra.

En aïkido, être lourd, peser avec son corps, c’est se donner une chance de plus ; c’est s’affirmer par rapport à l’autre ; c’est s’enraciner pour donner une assurance à son mouvement.

Cette notion de poids rejoint la notion de centre et de se centrer.

On peut penser à un aimant au centre du corps qui attirerait à lui toutes les énergies. Plus un aimant attire de la limaille de fer, plus son poids augmente. Mais l’aïkidoka ne se charge pas inutilement. Son poids doit devenir un élément supplémentaire de réharmonisation de soi avec l’univers.

D. Conclusion

Le ki c’est la manifestation de la vie, l’énergie.

Tout le monde en a mais il y a souvent méconnaissance de cette richesse interne parce qu’il y a eu, dans la vie de l’individu, des blocages corporels et psychiques qui ont stoppé sa libre circulation.

Du point de vue psychique, le ki est un trésor de vie, c’est le désir, la force vitale de circuler et de s’épanouir.

L’aïkido peut aider certaines personnes à redécouvrir cette force de vie qu’ils ont en eux et l’utiliser pour être acteur de leur vie.

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