Les enfants et la séparation

Extrait de Mes parents se séparent et moi je deviens quoi ? Les enfants et la séparation de leurs parents, Conférence pour le Centre de Médiation du Luxembourg, jeudi 7 Juillet 2005

L’une des difficultés pour les parents est constituée par la peur de perdre leur place auprès des enfants. L’amalgame entre le conjugal et le parental est renforcé par leurs propres difficultés émotionnelles.

Les enfants ont besoin d’être rassurés, mis à l’abri des conflits, de ne pas être pris à partie et vont chercher à vérifier la crédibilité de leurs parents, après la séparation.

1. Les enfants et la séparation de leurs parents

Les enfants réagissent de façon différente à la séparation de leurs parents, en fonction de leur âge, de leurs besoins, de l’étape de leur développement psycho-affectif.

Différentes questions se posent quant aux effets négatifs de cet événement familial sur leur comportement.

L’observation des enfants, dont j’accompagne les parents, met en évidence que les enfants réagissent par la modification de leurs comportements, en développant des somatisations de tout ordres, en inventant toutes sortes de stratégies pour signifier leurs malaises.

Une étude de Judith Wallerstein et Joan Kelly (Pour dépasser la crise du divorce, Privat 1989) démontre que ce n’est pas tant le divorce lui-même qui entraîne des difficultés chez les enfants que la façon dont il se déroule.

Les auteurs ont identifié, pour chaque âge, des comportements spécifiques. Je les ai articulé à ma propre pratique et mis en regard avec les étapes du développement psycho-affectif. Je vous propose de les décliner ci-après.

1.1 Les enfants de 0 à 3 ans

A cette étape de leur développement les enfants sont dans une période encore fusionnelle. Mélanie Klein (La Psychanalyse des enfants, Payot 1978) repère une étape qui marque l’élaboration du processus de différenciation autour du 9ème mois et qui s’exprime par une phase dépressive. L’enfant prend conscience qu’il existe séparément de sa mère. L’observation psychomotrice d’enfants de cet âge montre la prise de conscience des différentes parties du corps par l’enfant.

A cet âge l’enfant va vivre la séparation comme un acte d’abandon, d’angoisse. Ce ressenti interne il l’exprime, notamment, par des troubles du sommeil, des pleurs fréquents.

1.2 Les enfants de 3 à 6 ans

Les enfants sont à l’âge de la première scolarisation. Ils ont réalisé les principales acquisitions, qui leur permettent l’autonomie et leur donnent accès à la socialisation : le langage, la propreté…

Nous caractériserons cette étape de leur développement en regard avec la période œdipienne. C’est l’âge de la conscientisation de la différence sexuelle. L’enfant face à la séparation de ses parents va développer une culpabilité importante, de responsabilité de la séparation. Il le manifeste par une régression des acquis, une plus grande tristesse, des pleurs fréquents…

1.3 Les enfants de 6 à 9 ans

Les enfants entrent dans une période définie par les psychologues comme période de latence. Sur le plan social ils ont acquis l’écriture, la lecture…

Dans cette période, ils vont continuer de se sentir coupables de la séparation. Ils peuvent alors manifester de la colère à l’égard du parent qu’ils pensent être “coupable” de cette initiative, inventer mille et stratégies pour tenter de réconcilier leurs parents.

1.4 Les enfants de 9 à 12 ans

Il s’agit de la période pré-adolescente, le groupe de copains constitue un lieu social privilégié. Il va utiliser le changement familial pour accéder à son autonomie.

On observe, à cet âge, des difficultés à exprimer les émotions, les sentiments. Les enfants sont désappointés face à cette situation, se sentent impuissants à opérer un changement quelconque pour modifier la décision des parents.

1.5 Les jeunes de 12 à 16 ans

L’entrée dans l’adolescence est une étape particulièrement capitale. La construction identitaire capitalisée depuis le plus jeune âge va se mettre en forme.

L’adolescent a besoin à la fois de se confronter au parent du même sexe, et en même temps besoin de s’en détacher.

Les conflits des parents lui semblent difficiles à l’âge où il quitte lui même le monde de l’enfance. La projection sur le monde adulte devient menaçante.

Il a tendance à fuir la maison. Face au conflit, il peut trouver refuge dans des comportements dépressifs.

Ce balayage rapide et succinct montre que les enfants réagissent à la séparation en fonction de leurs “propres compétences”, leurs propres besoins.

Les parents, eux-mêmes pris dans leur gestion émotionnelle, vont repérer ces comportements qui réactivent leur propre culpabilité, leur colère et devient le justificatif, le principal argument pour pointer “l’incompétence” de l’autre parent.

La notion d’intérêt de l’enfant est à utiliser avec beaucoup de prudence. L’utilisation de la parole de l’enfant dans le cadre des procédures peut avoir des effets pervers et brouiller son statut, si sa parole fait loi. Est-il alors encore à sa place d’enfant ?

2. Les comportements des enfants

A partir d’observations, je vous propose cinq typologies de réactions des comportements des enfants :

  • Les enfants développent un syndrome d’abandon, par système projectif : puisque ces adultes qui se sont aimés sont capables de se quitter, alors pourquoi ne le quitteraient-ils pas aussi ?
  • Ils réagissent par la culpabilité, persuadés d’être à l’origine de la séparation, s’appropriant le dysfonctionnement familial ;
  • Ils développent des fantasmes de réconciliation. Ils vont alors élaborer mille et une stratégies inconscientes pour tenter de ramener leurs parents « comme avant ». La plupart de ces scénarios passent par des phénomènes de somatisation ;
  • Ils s’enferment dans une loyauté à l’égard du parent qu’ils sentent en difficulté. Le psychiatre Richard GARDNER a décrit ce qu’il appelle « le syndrome d’aliénation parentale » dit le S.A.P. L’enfant dit « sapé », va pouvoir mettre ses besoins, ses désirs en sourdine pour protéger le parent qu’il pense en souffrance, en difficulté, abandonné par l’autre parent.
  • Ils vont alors “porter” leurs parents par un comportement de parentification, et il n’est pas rare d’entendre : « les enfants du divorce sont très matures ! ».

3. Que faire de la parole de l’enfant : comment l’aider à sortir du silence ?

Nous savons bien combien l’enfant est concerné par ces situations conflictuelles, ces dysfonctionnements, et combien l’écoute, la prise en compte de “sa parole” est complexe, demande des compétences très particulières et nécessite la définition d’un cadre précis.

L’enfant, aujourd’hui, a la possibilité d’être entendu par le juge lors du divorce ou de la séparation de ses parents. Parfois même, les enfants ont accès à un avocat d’enfant qui vient porter leurs paroles par devant le juge.

Quand bien même l’enfant n’est pas partie de cette procédure, les conséquences, le poids de sa parole sont bien dommageables. Il peut tout autant être entendu par un avocat.

La réalité se trouve bien là, inscrite dans l’étymologie même du mot enfance, du latin infans, et l’enfant doit demeurer celui qui a encore le droit à l’erreur, en dépit du dicton, bien connu : “la vérité sort de la bouche des enfants !”

C’est bien de cette vérité, de sa parole dont il est question, lorsque l’enfant pris en otage dans le conflit de ses parents vient “offrir” sa parole, dans le cadre d’une procédure, qui devrait rester celle du conflit de ses parents.

Mais comment ferait-il autrement, alors que sa parole a occupé tout l’espace familial et que le pouvoir de ses mots deviennent loi ?

Existe-t-il une solution pour éviter ces dérapages ? Il serait ambitieux, ou illusoire, en qualité de professionnelle, de laisser croire que je détiens la solution. Si je mets l’accent sur la nécessité d’entendre les messages implicites des enfants, il est tout aussi important de prendre le temps de pouvoir “décoder” les besoins des parents afin de proposer l’accompagnement le plus judicieux et permettre à la parole des enfants d’être accueillie dans un espace qui lui soit spécifique.

Je me souviens de cette petite fille de huit ans, qui disait à son père, après quelques heures de retrouvailles : “Papa, il faut que je te dise, maman serait triste de savoir que je suis contente de te voir, alors chaque fois que j’arriverai, je vais pleurer et dire que je ne veux pas te voir. Tu comprends, elle est tellement triste !”

Ou bien d’autres encore qui par “fidélité” à la souffrance du parent blessé refusent, des heures durant, de poser même un regard sur ce parent “banni”.

J’ai mentionné, précédemment; que pour un sur deux des enfants concernés par le divorce, la séparation de leurs parents, la relation d’avec l’un de leurs deux parents va s’interrompre.

S’interrompre parce que le divorce, la séparation ne sont pas de simples adéquations économiques, ou alignements à des textes légaux !

Dans le cadre du règlement de ces conflits familiaux, la tâche des juges est complexe. Il leur est demandé de rendre “justice”, de dire le droit là où les émotions, les blessures engluent le paysage !

L’enfant est tiraillé, ballotté, mis en position d’adulte. Est-ce sa place, son rôle, alors que l’on n’a de cesse que de promouvoir le soutien à la parentalité ?

C’est bien par respect pour les enfants que je suis méfiante face à tous ces espaces dans lesquels la parole de l’enfant peut-être répandue, éparpillée. Et bien entendu je crois, au travers de tout ce qui a déjà été dit dans cet ouvrage, à la nécessité de le laisser en dehors de ce conflit, de le protéger de ce combat que se livre les parents, par respect pour son statut d’enfant.

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